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L’intelligence artificielle générative : l’Union Européenne relaie le droit d’auteur au rang des exceptions.

L’intelligence artificielle générative : l’Union Européenne relaie le droit d’auteur au rang des exceptions.

L’intelligence artificielle générative : l’Union Européenne relaie le droit d’auteur au rang des exceptions.

Le règlement européen sur l’intelligence artificielle a été définitivement adopté. Il acte de l’application de l’exception de fouilles de données,  s’agissant des œuvres utilisées pour entrainer les intelligences artificielles et impose une obligation de transparence dont les contours demeurent à être précisés.

La révolution technologique que constituent les models d’intelligence artificielle générative (IAG)  à large usage, tels que Chat GPT,  Dall-E ou Midjourney, soulève en droit d’auteur des nouveaux défis juridiques et redefinit les contours de la création.

On rappellera que l’ IAG selon la définition de la CNIL est un système capable de créer du texte, des images ou d'autres contenus (musique, vidéo, voix, etc.) à partir d'une instruction d'un utilisateur humain.

L’IAG soulève des interrogations distinctes en droit d’auteur. D’une part, la licéité de l’utilisation d’œuvres préexistantes par l’IAG dans sa phase d’entrainement « à l’entrée » ainsi que sa rémunération. D’autre part, l’éventuelle protection par le droit d’auteur de formes nouvelles générées par l’IAG, « à la sortie ».

Bien que n’ayant pas vocation à régir le droit d’auteur dans le contexte d’une IAG, le règlement sur l’intelligence artificielle (IA) , en date du 21 avril 2024, définitivement adopté le 21 mai 2024 répond, dans sa section consacrée à l’Intelligence Artificielle à Large Usage, à certaines interrogations en droit d’auteur que suscite l’IAG dans sa phase d’entrainement.

Le Règlement sur l’Intelligence artificielle définit ainsi le périmètre de la règlementation européenne (1) érige l’exception de fouilles de données en principe (2) tout en exigeant des règles de transparence (3).

1. La loi applicable selon le règlement sur l’Intelligence artificielle : le lieu d’utilisation

Le règlement sur l’Intelligence Artificielle, en précisant son périmètre apporte une réponse au champ d’application de la règlementation européenne sur le droit d’auteur dans le cadre d’un IAG .

A l’instar du RGPD, l’article 2 du règlement sur l’Intelligence Artificielle prend pour point de référence le pays d’utilisation, peu importe que le fournisseur de l’IAG soit localisé dans ou en dehors de l’UE.

Cette précision permet ainsi d’éviter le forum shopping la où, la règlementation sur l’IA pourrait être moins regardante. Par exemple, le ministère israélien de la justice a pu considérer que l’utilisation d’œuvres dans la phase d’apprentissage serait autorisée, en raison notamment de l’exception de « faire use », dès lors que ces œuvres ne seraient pas reproduites « en sortie », lors de la génération des contenus[i][1]

Ainsi peu importe que la phase d’apprentissage ait lieu en dehors de l’UE , dès lors que l’IAG est utilisée dans l’Union Européenne, la règlementation européenne sur le droit d’auteur visée à l’article 53 de la directive, aurait néanmoins vocation à s’appliquer .

 

2. L’exception de fouilles de données à des fins d’entrainement de l’IAG érigée en principe par le règlement Européen

Les IAG procèdent par extraction massive de données issues d’Internet et/ou dans la sphère privée, lesquelles données sont structurées et organisées dans des bases de connaissances servant d’entrainement, en entrée.

Ces données d’entrainement permettent aux d’IAG de générer de nouveaux contenus ( textes, son, images, vidéo), en sortie,  en réponse à des requêtes des utilisateurs, sous forme de « prompts ».

L’utilisation d’œuvre protégées à des fins d’entrainement « en entrée »,  suscite en droit d’auteur des interrogations quant à la mise en oeuvre du droit de reproduction,  dans la mesure où ces œuvres ne sont pas reproduites, par les contenus générés par l’IAG, « en sortie ».[2]

La Commission Européenne a fait valoir que l’utilisation par l’IAG d’œuvres à des fins d’entrainement rentrait dans le champ de l’exception prévue par la directive européenne (Dir. [UE] 2019/790 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique « DSM  du 19 avril 2019») couvrant la fouille de textes et de données. Elle y voit un juste équilibre entre deux éléments protéger les titulaires de droits, notamment les artistes, et faciliter l’exploration de textes et de données, notamment par les développeurs d’IA »[3]

Le règlement sur l’Intelligence Artificielle entérine la position de la Commission Européenne en précisant à l’article 53 section II consacré à l’IA à usage général que :

1. Les fournisseurs de modèles d'IA à usage général doivent :[…]

(c) mettre en place une politique visant à respecter le droit de l'Union en matière de droit d'auteur et de droits voisins, et en particulier à identifier et à respecter, y compris au moyen de technologies de pointe, une réserve de droits exprimée conformément à l'article 4, paragraphe 3, de la directive (UE) 2019/790;

Le règlement sur l’Intelligence Artificielle clôt ainsi le débat sur l’application du droit de reproduction,en érigeant en principe l’exception de fouilles de données à des fins d’entrainement de l’IAG, laquelle permet aux fournisseurs d’IAG de s’affranchir de toute autorisation, dès lors que l’auteur ou ses ayants droit n’ont pas manifesté d’opposition à l’utilisation de leurs œuvres dans le cadre d’une fouille (principe d’opt out)[4].

Sans doute pour préserver sa compétitivité et ne pas freiner l’innovation, l’Union Européenne,  a-t- elle voulu anticiper une éventuelle application par les Etats Unis de l’ exception de « fair use » à l’utilisation d’œuvres à des fins d’entrainement qui fait actuellement l’objet de plusieurs recours pendants aux Etats Unis, dont la très attendue classe action à l’encontre stability-ai-midjourney-et-deviantart [5]

Il n’en demeure pas moins que l’application de cette exception dans le contexte de l’IAG fait l’objet de vives critiques et d’inquiétudes de la part des ayants droit.[6]

Si la définition de la fouille de donnée prévue à l’article L. 122-5-3 du CPI semble y intégrer l’IAG[7] , les ayants droit font valoir notamment au regard notamment du considérant 18 de la directive, que cette exception n’avait pas été envisagée comme couvrant l’IAG, à savoir une technologie capable de générer des contenus concurrençant la création humaine.

Cette exception au principe cardinal en droit d’auteur, à savoir l’accord exprès des auteur à toute utilisation de leurs œuvres, ne donne lieu à aucune compensation financière, en dehors de l’exercice de la réserve de droits, ce qui risque de créer un régime de création à deux vitesses, les ayants droit qui auront exercé leur réserve et les autres.

3 Une obligation de transparence quant aux données d’entrainement utilisées par l’IAG qui demeure à être précisée

Pour répondre à certaines critiques des ayants droit qui a minima s’inquiétaient de ne pas être en mesure de s’assurer de l’effectivité de l’exercice de leur réserve de droit ( l’opt out), l’article 53 du règlement sur l’IA impose

c) De mettre en place une politique visant à respecter le droit de l'Union en matière de droit d'auteur et de droits voisins, et en particulier à identifier et à respecter, y compris au moyen de technologies de pointe, une réserve de droits exprimée conformément à l'article 4, paragraphe 3, de la directive (UE) 2019/790 ;

(d) rédiger et mettre à la disposition du public un résumé suffisamment détaillé du contenu utilisé pour la formation du modèle d'IA à usage général, selon un modèle fourni par l'Office AI

Reste à savoir ce que contiendra ce résumé suffisamment détaillé du contenu. Est-ce que celui-ci permettra d’identifier tous les contenus protégés, à l’instar du projet de loi déposé aux Etats Unis qui contraindrait les fournisseurs d’IAG à divulguer l’ensemble des œuvres utilisées protégées par le droit d'auteur, y compris les adresses URL[8] ? A défaut, il est à craindre que ce résumé demeurera plus formel que réellement utile du moins à la protection des droits d’auteur.

On peut également s’interroger sur l’application dans le temps de cette obligation. Est-ce que les fournisseurs d’IAG devront également fournir des résumés quant aux données qu’ils ont utilisées avant l’entrée en vigueur de la directive, étant précisé par exemple que l’intégralité de l’Internet antérieur en 2021 aurait d’ores et déjà été utilisé par Open AI ?

C’est dans ce cadre que le Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique s'est vu confier en avril 2024 la mission d'expertiser la portée de l'obligation de transparence et d'établir la liste des informations qui devraient nécessairement être rendues publiques par les fournisseurs d’IA, selon les secteurs culturels concernés, pour permettre aux auteurs et aux titulaires de droits d’exercer leurs droits.

 

  1. Un principe qui pourrait néanmoins être remis en cause par le triple test et le droit de la concurrence, en l’absence de mécanisme de compensation pour les auteurs

L’exception de fouille de données ne peut s’appliquer sous réserve de sa conformité au « triple test » tel que rappelé au considérant 6 de la directive du 19 avril 2019.

Ce principe de triple test applicable au droit de reproduction découle de plusieurs traités internationaux au rang desquels l’article 9.2 de la Convention de Berne ainsi que de la règlementation de l’Union Européenne.

Les exceptions et limitations prévues dans la présente directive tendent vers un juste équilibre entre les droits et les intérêts des auteurs et autres titulaires de droits, d'une part, et des utilisateurs, d'autre part. Elles ne peuvent s'appliquer que dans certains cas particuliers qui ne portent pas atteinte à l'exploitation normale de l'œuvre ou autre objet protégé ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes des titulaires de droits.

Or en l’espèce les contenus générés par l’IAG viennent directement concurrencer les œuvres des auteurs.

En proposant de générer à bas cout un nombre exponentiel de contenus, on pourrait donc considérer que l’IAG porte atteinte à l’exploitation normale d’une œuvre en privant son auteur des revenus qu’il pouvait espérer, sans cette exception.

De la même manière, l’IAG cause un préjudice injustifié d’autant plus que l’exception de fouilles de données n’est accompagnée d’aucun mécanisme compensatoire.

De même, on pourrait également s’interroger sur la conformité des pratiques des IAG   aux règles du droit de la concurrence du fait de la distorsion de marché qu’elle génère. La concurrence n’est-elle pas déloyale du fait notamment des bas couts et n’y a-t-il pas un risque de parasitisme à utiliser, sans bourse délier, les œuvres des auteurs, dans le but de s’approprier leur valeur et pour les concurrencer ?

La seconde mission qui a été confiée au CSPLA en avril 2024, porte précisément sur les mécanismes juridiques envisageables pour chaque secteur, afin notamment de garantir la juste rémunération des ayants droit et analyser les enjeux économiques sous-jacents à l'accès aux données protégées par des droits de propriété littéraire et artistique lorsque celles-ci sont utilisées par les IA Les deux rapports susvisés sont attendus pour la fin de l’année[9].

 

 

 

 

 

 


[1] https://www.gov.il/BlobFolder/legalinfo/machine-learning/he/machine-learning.pdf

 

[2] Si la directive européenne du 22 mai 2001 définit le droit de reproduction indépendamment de tout acte ultérieur de communication au public, la France qui n’a jamais transposé cette définition le conditionne à une communication au public. Or les œuvres utilisées en entrée à des fins d’entrainement ne sont pas reproduites en sortie, et donc pas communiquées au public, ce qui est source d’incertitude juridique quant à son application.

[3] 1Communiqué de Thierry Breton du 31 mars 2023

 

[4] Article 4 : Les États membres prévoient une exception ou une limitation aux droits prévus à l'article 5, point a), et à l'article 7, paragraphe 1, de la directive 96/9/CE, à l'article 2 de la directive 2001/29/CE, à l'article 4, paragraphe 1, points a) et b), de la directive 2009/24/CE et à l'article 15, paragraphe 1, de la présente directive pour les reproductions et les extractions d'œuvres et d'autres objets protégés accessibles de manière licite aux fins de la fouille de textes et de données.[….]

 

3.   L'exception ou la limitation prévue au paragraphe 1 s'applique à condition que l'utilisation des œuvres et autres objets protégés visés audit paragraphe n'ait pas été expressément réservée par leurs titulaires de droits de manière appropriée, notamment par des procédés lisibles par machine pour les contenus mis à la disposition du public en ligne.

 

[5] https://www.prnewswire.com/news-releases/class-action-filed-against-stability-ai-midjourney-and-deviantart-for-dmca-violations-right-of-publicity-violations-unlawful-competition-breach-of-tos-301721869.html

 

[6] Réguler l’IA et protéger les créateurs : point de vue après la conférence de Namur des 8 et 9 avril 2024 Stéphanie Le Cam Dalloz actualité24 avril 2024 ; IA génératives et création : quels enjeux juridiques? 27 mars 2023 https://observatoire-ia.pantheonsorbonne.fr/actualite/ia-generatives-et-creation-quels-enjeux-juridiques

 

[7] L’article .L 122-5-3 du CPI définit la fouille de données comme la mise en oeuvre d'une technique d'analyse automatisée de textes et données sous forme numérique afin d'en dégager des informations, notamment des constantes, des tendances et des corrélation

 

[8] https://schiff.house.gov/news/press-releases/rep-schiff-introduces-groundbreaking-bill-to-create-ai-transparency-between-creators-and-companies

 

[9] https://www.dataia.eu/actualites/lancement-de-deux-nouvelles-missions-sur-lia

 


 

Publié le 27/05/2024

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