Fin de partie pour les plateformes de partage de contenus contrefaisants ?
Fin de partie pour les plateformes de partage de contenus contrefaisants ?
Les plateformes de partage de contenu référençant des œuvres contrefaisantes trouvaient refuge au sein du statut d’hébergeur, qui confère à celui- ci une responsabilité limitée, l’hébergeur n’étant pas responsable des œuvres qu’ils hébergent dès lors qu’il n’a pas connaissance de son contenu.
Ce refuge pourrait toutefois être mise à mal par la récente jurisprudence de la CJUE en matière d’hyperlien et de communication au public.
1/ Les ressorts de la contrefaçon en ligne
Afin de comprendre de quelle manière opère la contrefaçon en ligne, il convient d’en connaitre ses ressorts.
Des plateformes dénommées « cyberlocker » proposent aux utilisateurs d’héberger leurs contenus dans les nuages. Ces plateformes n’ont pas connaissance du contenu hébergé et ne procède à aucun classement ni référencement du contenu transmis par les internautes.
D’autres plateformes spécialisées par contenu (écrits, œuvres audiovisuelles…) référencent, via des hyperliens les contenus hébergés auprès des « cyberlockers », en procédant à un classement des œuvres sous différentes catégories. Ce classement peut être fondé notamment sur la nature des œuvres, leur genre, la date de parution, leur popularité. Ce sont ces référencements qui permettent aux internautes d’accéder à des œuvres mis en ligne par des utilisateurs, sans autorisation des ayants droit.
L’article 14 de la directive 200/31/CE repris en France par l’article 6-I-2 de la loi LCEN prévoit que la responsabilité de l’hébergeur ne peut être engagée qu’à la condition qu’il ait eu connaissance du contenu manifestement illicite et qu’il n’ait pas agi promptement pour retirer ledit contenu.
Cette connaissance est présumée lorsque le contenu litigieux lui a été notifié par l’ayant droit dans les formes requises par la règlementation, ce qui comprend notamment la localisation précise du contenu litigieux (l’adresse IP).
Usant de ce statut, les cyberlockers font valoir qu’ils n’ont pas connaissance du contenu stocké. De même, les plateformes qui référencent les contenus arguent qu’elles ne font qu’héberger des liens qui renvoient vers des œuvres qui ont été mis en ligne par des utilisateurs. Elles considèrent ainsi ne pas avoir connaissance de la contrefaçon, du moins tant qu’un ayant droit n’a pas notifié au cyberlocker et/ou à la plateforme de référencement le contenu litigieux.
Ce statut leur permet ainsi de limiter le déréférencement aux seules œuvres qui leur ont été notifiées par les ayants droit, et encore sous réserve qu’elles n’aient pas été à nouveau mis en ligne par un utilisateur, la jurisprudence ayant tendance à considérer qu’elles ne sont pas non plus responsable d’une nouvelle mise en ligne de l’œuvre via une nouvelle adresse IP.
2/ >La fin de l’immunité offert par le statut d’hébergeur
La CJUE a rendu plusieurs arrêts sur la notion de communication au public et sur les hyperliens qui pourraient mettre un terme à la protection qu’offre le statut d’hébergeur.
La CJUE a ainsi considéré que l’acte de communication au public mettant en cause le droit d’auteur, doit s’effectuer auprès d’un public nouveau, c’est-à-dire un public qui n’as pas été pris en compte lors de la communication initiale de l’œuvre au public[1].
A ce titre, la mise en place d’un hyperlien vers une œuvre publiée sans restriction d’accès et licitement sur un autre site ne constitue pas une communication au public nouvelle de l’œuvre distincte de celui du site sur lequel l’œuvre a été hébergée.
Il en va toutefois différemment lorsque le lien renvoie vers une œuvre contrefaisante lequel lien peut constituer un acte de communication au public non autorisée.
A cet égard, la CJUE a fait une distinction - fort critiquée- entre les liens fournis à but lucratif et/ou professionnel pour lequel la connaissance du caractère litigieux du contenu mis à disposition est présumée, et les liens fournis à titre non lucratif et/ou par un particulier pour lequel la bonne foi est présumée[2].
Dans le prolongement, la Cour a également considéré que constituait un acte de communication au public non autorisée la vente d’un lecteur multimédia sur lequel ont été préinstallés des modules complémentaires, disponibles sur Internet, contenant des liens renvoyant à des sites Internet sur lesquels des œuvres contrefaisantes étaient disponibles en streaming. La encore la connaissance du caractère litigieux du contenu était présumée[3].
Nous pouvions donc en déduire par analogie que la mise en place des liens par des plateformes vers des sites hébergeant des œuvres contrefaisantes constitue un acte de communication au public non autorisée dans la mesure où ils agissent à titre professionnel et généralement à des fins lucratives (via de la publicité en ligne) de sorte que la connaissance de la contrefaçon est présumée.
La CJUE a récemment considéré qu’avaient également connaissance de la contrefaçon, les administrateurs d’une plateforme de partage en ligne de contenus qui permettaient aux internautes leur téléchargement, dans le cadre d’un réseau de pair à pair.[4]
Pour retenir la connaissance de la contrefaçon, la CJUE semble abandonner la distinction malheureuse entre activité lucrative ou non lucrative et prend en compte des nouveaux critères :
- le fait de répertorier des fichiers litigieux qui permettent aux utilisateurs de localiser les œuvres ;
- de créer un index classant les œuvres notamment par nature, genre, popularité, en sus d‘un moteur de recherche.
Les mêmes critères pourraient s’appliquer aux plateformes de partage de contenus qui référencent via des liens des sites permettant ainsi aux internautes de visualiser, via la technique du streaming, les œuvres contrefaisantes.
Si la jurisprudence de la Cour de Cassation a pu considérer par le passé que l’indexation des œuvres était impropre à qualifier une plateforme de partage de contenus d’éditeur[5], la CJUE ne permet plus pour autant d’exclure la responsabilité des hébergeurs, dès lors que ce classement induit une connaissance présumée de la contrefaçon.
Conclusion
On peut regretter le manque de constance dans les critères de la CJUE mais sa récente jurisprudence permettra néanmoins de faciliter la lutte contre la contrefaçon en ligne.
Gageons que les ayants droit pourront obtenir plus aisément en justice le blocage de l’accès aux plateformes de partages de contenus contrefaisants, notamment via les fournisseurs d’accès qui en cas d’inaction de l’hébergeur, et sous prescription de l’autorité judiciaire, sont tenus d’ordonner la mise en œuvre de mesures propre à prévenir tout dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par un contenu[6].
[1] CJUE 13 février 2014, Svensson e.a., C‑466/12, EU:C:2014:76
[2] CJUE 8 septembre 2016, GS Media, C‑160/15,
[3] CJUE 26 avril 2017, Stichting Brein C‑527/15
[4] CJUE 14 Juin 2017, Stichting Brein C -610/15
[5] Cass. Civ. 1, 17 février 2011, Nord ouest production c/Daily motion
[6] Article L 336-2 du Code de la Propriété Intellectuelle
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