Le nouveau droit voisin des éditeurs de presse: un coup d’épée dans l’eau ?
Le 26 Mars 2019, le Parlement Européen votait l’adoption définitive de la directive sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique. Les éditeurs de presse seront dotés d’un nouveau droit voisin vis-à-vis des agrégateurs de presse en ligne dont le périmètre âprement négocié est bien réduit.
Le 26 Mars 2019 le Parlement Européen a approuvé la directive sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique[1].
La directive qui a fait l’objet de nombreux débats, polémiques et amendements comporte notamment l’instauration d’un droit voisin au profit des éditeurs de presse dans l’univers numérique.
Plusieurs pays de l’Union Européenne avaient tenté en vain de modifier leur règlementation sur le droit d’auteur, aux fins de mieux protéger les éditeurs de presse vis-à-vis des agrégateurs d’actualités.(1)
La directive créer un nouveau droit voisin au profit des éditeurs de presse dont le périmètre semble néanmoins, après d’âpres discussions, équivalent à celui du droit d’auteur existant (2)
De sorte que l’on peut s’interroger sur l’intérêt que peut présenter la création d’un nouveau droit dont les contours ne dépasseraient pas peu ou prou les contours de l’existant. (3)
- Les échecs des tentatives nationales
Plusieurs pays de l’Union Européenne ont instauré ou tenté d’instaurer une règlementation protectrice des éditeurs de presse face à l’utilisation par les plateformes numériques de leur contenu, sans rémunération.
C’est ainsi qu’en mars 2013 l’Allemagne a modifié sa législation aux fins de créer un nouveau droit voisin au profit des éditeurs de presse, leur conférant le droit d’autoriser ou d’interdire la réutilisation de leur contenu par les agrégateurs de contenus informationnels.
La pression a été telle, que de nombreux éditeurs ont fini par accorder à Google pour son service d’agrégation une licence gracieuse d’utilisation.
En outre, la Commission Européenne pourrait bien considérer qu’une telle législation nécessiterait en tout état de cause son approbation, par voie de notification.
En Espagne, en novembre 2014, la règlementation sur le droit d’auteur a été modifiée aux fins d’introduire une nouvelle exception, celui pour les agrégateurs de contenus d’avoir le droit d’utiliser des fragments d’articles de presse, en contrepartie d’une rémunération au profit des éditeurs de presse.
La encore cette réglementation a échoué, les agrégateurs de contenus, au premier rang desquels Google ont cessé leur service.
En France en 2012 un projet de loi visant à instaurer un droit voisin a été discuté, avant de disparaitre, en suite d’un accord commercial trouvé entre les éditeurs de presse et Google. Un nouveau projet de loi approuvé par le Sénat en Janvier 2019, a été voté mais n’avait vocation à exister qu’à défaut d’accord Européen.
2.Le nouveau droit voisin des éditeurs de presse
La directive Européenne confère aux éditeurs et agences de presse le droit d’autoriser la reproduction et communication au public en ligne, de leurs publications de presse, à titre commercial, par des prestataires de services de la société de l’information et ce pendant les deux années civiles qui suivent l’année de première publication[i].
Si l’ont peu s’interroger sur le périmètre de la notion de prestataire de service de la société de l’information, il semble qu’elle vise les agrégateurs de presse et autres services de suivi des médias ( tels que Google Actualité, Yahoo Actu, Feedly, Microsoft News, Apple News..).
Ne bénéficie pas de ce droit voisin, les éditeurs de blogs dont les publications ne sont pas sous le contrôle d’un éditeur de presse ou encore les éditeurs de publications scientifiques.[2]
De même, n’est pas couvert par ce droit voisin les utilisations privées ou non commerciales par des utilisateurs individuel.
Enfin, sont exclus du périmètre de ce droit, l’usage par les agrégateurs de lien hypertexte, l’utilisation de mots isolés ou de courts extraits ou encore le rappel de simples faits rapportés dans les publications de presse[3].
Si l’usage de snippets, c’est-à-dire de fragment d’article le résumant, sont implicitement inclus- bien que non nommés - dans le périmètre du droit voisin, c’est à la condition qu’il dépasse le « très court extrait ».
Si la reproduction de photographies accompagnant le court extrait est également couverte par ce nouveau droit, c’est à condition que cette communication au public ne soit pas effectuée via un hyperlien.
En somme, est couvert par le droit voisin des éditeurs de presse la communication au public en ligne par les agrégateurs de contenus, autrement que par l’usage de lien hypertexte, d’extraits d’articles et d’images.
Or ce droit était d’ores et déjà couvert par le droit d’auteur.
En effet, sous réserve de l’originalité du contenu repris, dont le seuil requis est traditionnellement bas, la reproduction d’un extrait d’un article de presse et d’image par un agrégateur de contenus met en cause les droits d’auteur de reproduction et de représentation.
L’agrégation de contenus qui s’analyse en un panorama de presse, ne peut constituer des courtes citations qui échapperaient au droit d’auteur.[4]
La courte citation, exige en France notamment qu’elle soit justifiée par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’œuvre dans laquelle elle s’incorpore. L’agrégation de contenus ne répond pas à cette condition.
3/ Que reste -t-il de nos droits ?
Plusieurs arguments militaient pour l’instauration d’un nouveau droit voisin, qui soit plus large que le droit d’auteur existant, aux fins de protéger l’investissement des éditeurs de presse.
Les agrégateurs de contenus ont largement recours aux hyperliens pour réaliser leurs panoramas de presse en reprenant sous cette forme le titre, voire l’en-tête/résumé de l’article ainsi que la photographie illustrant l’article.
Or, la jurisprudence de la CJUE sur les hyperliens les exclue dans le champ du droit d’auteur.
L’arrêt Svensson de la CJUE a considéré qu’un lien hypertexte renvoyant vers une œuvre librement accessible sur un autre site ne constituait pas une nouvelle communication au public de l’œuvre, distincte de celle opérée par le site sur laquelle l’œuvre est accessible.[5]
Dans le prolongement, l’arrêt Best Water a jugé que la technique de la « transclusion » ( le framing ») ne constituait pas davantage une nouvelle communication au public[6].
Or le recours aux hyperliens est également expressément exclu du périmètre du droit voisin de l’éditeur de presse.
L’obligation de prouver systématiquement l’originalité de l’extrait reproduit par l’agrégateur de contenus constituait un autre argument qui militait en faveur d’un nouveau droit. Un nouveau droit fondé sur la seule reproduction, indépendamment de l’originalité ou non du contenu reproduit.
En effet, si le seuil requis en droit d’auteur pour prouver l’originalité est bas, il n’en demeure pas moins difficile de prouver l’originalité d’un texte lorsque l’extrait repris est très court, à moins que le très court texte constitue un jeu de mot par exemple[7].
Mais, la directive précisément exclu du périmètre du droit voisin la reprise d’un très court extrait, là où l’originalité en droit d’auteur est plus difficile à prouver.
Au total, les éditeurs semblent avoir hérité d’un nouveau droit dont le périmètre est équivalent au droit d’auteur existant.
A défaut de pouvoir exciper de ce droit voisin[8], les éditeurs pourraient-ils user du droit sui generis du producteur de base de données, instauré par la directive n° 96/9/CE du 11 mars 1996 et introduit en France dans la législation nationale par la loi n° 98-536 du 1er juillet 1998
Le producteur d’une base de données bénéficie du droit d’autoriser ou d’interdire, « l’extraction et la réutilisation d’une partie qualitativement ou quantitativement substantielle de son contenu » mais encore « la réutilisation répétée et systématique de parties qualitativement ou quantitativement non substantielles du contenu de la base lorsque ces opérations excèdent manifestement les conditions d'utilisation normale de la base de données ».[9]
Un journal constitue une base de données dont les agrégateurs de contenus informationnels semblent bien faire un usage répétée et systématique.
Reste que le producteur doit pour exciper d’un tel droit, justifier d’un investissement dans la création et mise à jour de sa base de données et non dans les données elle-même, rendant incertain son application dans le cadre de la réutilisation de contenu journalistique par les agrégateurs de contenus informationnels.
[1] Directive du parlement et du conseil sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique http://www.europarl.europa.eu/doceo/document/A-8-2018-0245-AM-271-271_EN.pdf?redirect
[2] Considérant 56 de la directive
[3] Considérant 57 et Article 15 de la directive
[4] Article 122-5 du Code la Propriété Intellectuelle
[5] CJUE 13 fév. 2014 Nils Svensson c/ Retriever Sverige aff. C-466/12
[6] CJUE 21 octobre 2014BestWater International c/ Michael M. et Stefan P aff, C 348/13
[7] A titre d’exemple Le slogan « sans parfum la peau est muette » a été jugé original TGI Paris, 17 juin 1992, RDPI, 1993, 45, 64. n° 3364,
[8] L’article 15 de la directive prend le soin de préciser que la notion de très court extrait ne doit pas être interprétée d’une telle manière qu’elle rendrait ineffective l’application de ce nouveau droit mais certains agrégateurs référencent les contenus en utilisant les seuls techniques de l’hyperlien et du framing..
[9] Article L 342-1 et 342-2 du Code la Propriété Intellectuelle
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